Guillaume Nadeau
LES REVENUS DE CRÉDITS CARBONE CERTIFIÉS MAINTENANT POSSIBLE DANS UNE FORÊT PRÈS DE CHEZ VOUS!
De tout temps, les revenus de vente de bois ont été la principale source de revenus pour un propriétaire de boisé. Le bois est aujourd’hui un matériau important, car son utilisation génère moins de gaz à effet de serre que d’autres matériaux. Parallèlement, l’importance de la biodiversité dans les boisés privés est bien démontrée et les propriétaires sont de plus en plus conscientisés à cet enjeu et activement impliqués.
PAR DANY SENAY, ING. F, ECOTIERRA

Toutefois, malgré bien des avancées et de nouveaux programmes, le propriétaire doit supporter seul le fardeau et la perte de revenus du bois associés à ses efforts de conservation et de mise en valeur des hautes valeurs écologiques de son boisé. Depuis l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto en 2005 et plus récemment de l’accord de Paris en 2015, les états et les organisations du monde entier ont pris conscience de l’importance de lutter activement contre les changements climatiques qui menacent les conditions de vie sur notre belle planète. Pour ce faire, il faut réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES) et augmenter la séquestration du carbone. Aujourd’hui, outre la réduction à la source, l’arme la plus efficace pour lutter contre les changements climatiques, c’est la forêt! Elle permet de contribuer à cette lutte de trois façons : par la séquestration du carbone en forêt (arbres, débris ligneux, carbone dans le sol, etc.), par le carbone séquestré dans les produits du bois et par le remplacement de matériaux générant de plus grandes émissions de GES par le bois.
La société propose donc aux propriétaires de boisés de contribuer à la lutte aux changements climatiques. Mais concrètement, quelle forme pourra prendre cette contribution, tandis qu’aucune usine ne versera à court terme de « prime carbone » sur le bois rond livré aux usines? De plus, augmenter la récolte de bois peut dans certains cas avoir l’effet inverse que celui recherché sur le climat, surtout si on ne change pas l’utilisation du bois qui est faite (ce qui se nomme le « cours normal des choses »). Finalement, le remplacement de matériaux polluant par le bois réfère quant à lui à des protocoles d’efficacité énergétique auxquels le propriétaire de boisé n’a pas accès dans les standards carbone actuels.
Différentes initiatives prennent place un peu partout dans le monde afin de financer les actions de lutte aux changements climatiques des propriétaires de forêt. Parmi celles-ci, il y a les crédits de carbones du marché volontaire, un marché qui s’est développé de manière très active. Un crédit de carbone est une tonne de CO2 équivalent qui a été séquestré ou dont l’émission a été évitée. L’achat de ces crédits par un acheteur qui souhaite compenser ses émissions permet de financer les activités de lutte aux changements climatiques. Des projets carbone couvrent maintenant plus de 2,5 millions d’hectares de boisés aux États-Unis, mais ils étaient totalement absents du paysage forestier québécois avant mai 2021, moment où le Projet Forestier Pivot a officiellement été enregistré dans le Registre de projets de Verified Carbon Standard (VCS). Le VCS est de loin le standard pour lequel les crédits de carbone sont les plus en demande et pour lequel la rigueur est reconnue à travers le monde.

AMÉNAGER DES FORÊTS POUR LE CARBONE
Le document Forest carbon : An essential Natural solution for Climate change est sans aucun doute une grande référence pour quiconque s’intéressant au carbone forestier. Ce document scientifique et vulgarisé explique bien que les forêts absorbent et stockent différentes quantités de carbone à différents stades de croissance. Alors que les forêts plus jeunes (40 à 70 ans) auront un taux élevé de séquestration du carbone — c’est-à-dire le processus d’extraction du dioxyde de carbone de l’air par la photosynthèse nécessaire à la croissance — la capacité d’une forêt à stocker du carbone augmente avec l’âge, culminant à environ 200 ans. Dans tout cela, il faut absolument éviter la méthode unique et il faut retenir que la solution forestière la plus simple et la meilleure est de varier nos interventions, notamment afin de rendre nos forêts plus résilientes face aux changements climatiques. Le Projet Forestier Pivot permet donc d’ajouter un nouvel outil à l’aménagiste forestier, celui d’aménager les forêts pour le carbone!
COMMENT CELA FONCTIONNE?
Le Projet Forestier Pivot permet d’éviter des émissions de GES ou d’augmenter la séquestration du carbone par rapport à un scénario de référence (ligne de base). C’est la différence entre la ligne de base et la ligne de projet qui devient le crédit carbone ex-post et certifié. Le crédit carbone ex-post consiste à évaluer la séquestration additionnelle entre le moment du changement d’intention et celui de l’audit externe par un vérificateur certifié par le standard VCS. Ces crédits réfèrent donc à des actions antérieures, et non pas à des promesses futures de séquestration.
Cela permet à un individu ou une organisation de compenser ses émissions de GES, habituellement après avoir tout fait pour les réduire à la source, en achetant des crédits carbone générés par le Projet Forestier Pivot. Dans la compensation volontaire, les organisations sont à la recherche de crédits carbone locaux, ex-post et de haute qualité. Pour être considéré comme tel, le crédit carbone doit être :
MESURABLE ET RÉEL
Les effets réels d’un projet de crédits carbone doivent être mesurés sur le terrain. Des mesures doivent confirmer que les captures supplémentaires ou les émissions de GES évitées sont réelles, ce qui est à la base dans un projet de crédits carbone ex-post.
VÉRIFIABLE
Un auditeur indépendant doit procéder à la validation de la méthodologie, à la validation du projet et à des vérifications périodiques du projet (moment où sont émis les crédits carbone).
PERMANENT
Le promoteur du projet doit démontrer que les changements d’intention seront permanents dans le temps afin d’assurer le maintien de la séquestration additionnelle et l’évitement des GES.
ADDITIONNEL
Un projet de crédits carbone doit permettre d’éviter des émissions de GES ou d’augmenter la séquestration du carbone par rapport à une situation de référence (ligne de base). Il doit être démontré que sans le revenu issu de la vente des crédits carbone, la ou les activités, ou celles associées, n’auraient pas pu être mises en oeuvre. Par exemple, un boisé déjà protégé (par un statut légal ou par la réglementation ou le zonage en vigueur) ne permet pas de générer d’additionnalité et de crédits carbone, car il n’y a pas de changement d’intention.
Le projet forestier Pivot est aussi parfaitement adapté à la superficie et à la réalité des boisés de petites et moyennes superficies du Québec et s’adresse directement aux propriétaires typiques de la forêt privée du Québec (particuliers, familles, groupes de conservation, etc.). Compte tenu des coûts de développement et d’opération d’un tel projet, il serait impossible pour un propriétaire de boisé du Québec de créer un projet de crédits carbone certifié à l’échelle de sa propriété seulement. Contrairement aux autres projets de crédits carbone certifiés existant au Canada et visant de très grandes propriétés de milliers d’hectares, le Projet Forestier Pivot se veut un projet collectif et groupé permettant de rassembler plusieurs propriétaires au sein d’un groupe (nommé instance).

QUE FAUT-IL FAIRE ALORS?
En diminuant la récolte de bois sous le niveau habituel (celui de la ligne de base) et en modifiant l’aménagement forestier, un propriétaire de boisé augmente le stock de carbone en forêt et diminue les émissions de GES liées à la récolte, à la transformation et au cycle de vie des produits du bois, tout en renonçant à un certain niveau de revenus actuels et futurs de matière ligneuse. C’est le revenu des crédits carbone qui devient son incitatif à modifier ses pratiques. Cela peut se faire selon différentes approches :
En cessant l’exploitation sur une partie de la propriété (conservation), notamment pour des secteurs abritant des espèces à risque ou de vieux peuplements ;
En maintenant la récolte de bois, mais en espaçant les interventions qui étaient prévues (allongement des cycles de récolte). Cela permettra de protéger ou de créer des attributs de vieilles forêts ou des legs biologiques importants pour la séquestration du carbone (ex. gros arbres). À moyen et à long terme, cela permettra également de générer des arbres de plus grosses dimensions qui seront utiles pour des produits du bois à plus long cycle de vie.
Et tout cela permet de :
Maintenir les activités acéricoles ou de les implanter ;
Maintenir sa récolte de bois pour ses besoins personnels (ex. bois de chauffage) ;
Maintenir une certaine mise en marché de bois vers les usines de transformation (selon l’activité) ;
Maintenir ou développer des activités récréatives ;
Contribuer à l’implantation de dispositifs de suivis terrain qui viendront appuyer les modèles définis pour le carbone ;
Contribuer de façon directe à la conservation de la biodiversité, qui est un co-bénéfice majeur du projet.
POUR QUI ET POUR QUOI?
Le Projet Forestier Pivot s’adresse aux propriétaires qui souhaitent diversifier leurs revenus, qui sont intéressés à la mise en valeur de leur boisé et qui sont sensibles aux enjeux environnementaux. Ils doivent être intéressés à modifier la vocation de leur propriété en s’engageant à modifier leurs pratiques ou leurs habitudes de gestion forestière pendant environ 80 ans. Il y a plusieurs profils de propriétaires de boisés et, bien naturellement, tous ne sont pas intéressés par la récolte de bois et tous ne seront pas intéressés par les crédits carbone. C’est bien comme ça, car tout est une question d’équilibre. Il en est de même pour les forêts, certaines sont plus propices que d’autres pour y augmenter la séquestration du carbone. Par exemple, cela est moins pertinent dans les forêts dégradées, où il est mieux d’y améliorer l’état de la forêt via un aménagement qui pourrait être plus ou moins intensif.
D’un autre côté, les forêts de 70 ans et plus, en bonne santé et composées d’une bonne proportion d’essences longévives sont les plus intéressantes pour la production de crédits carbone. Avec une approche de conservation, un hectare en crédits carbone pourra facilement rapporter autant de revenus en 15 ans que la récolte de bois. Les revenus sont également optimisés dans l’approche d’allongement des cycles de récolte, dans laquelle on génère une certaine quantité de revenus de crédits carbone et de revenus du bois récolté. Voici où nous en sommes aujourd’hui!
La variété et la diversité des boisés du Projet Forestier Pivot couplées à une additionnalité solide, au co-bénéfice de la conservation de la biodiversité, à l’approche collective, à la haute qualité des crédits carbone générés et à la rareté des crédits de carbone du genre au Canada suscitent de grands intérêts auprès des acheteurs potentiels. ECOTIERRA est déjà en discussions avec une dizaine d’agrégateurs dans plusieurs régions du Québec afin de déployer le projet auprès des propriétaires de boisés. Parlez-en à votre conseiller forestier ou à votre groupe de conservation.
Les forêts n’auront jamais eu autant d’importance pour l’Humanité qu’aujourd’hui! La clé est de garder les forêts en forêt, de varier nos interventions pour y augmenter la résilience face aux changements climatiques, d’y augmenter la séquestration du carbone et de remplacer le bois dans de nouvelles utilisations à longue durée. Le Projet forestier Pivot répond à plusieurs de ces actions et offre maintenant une alternative d’approches et de revenus aux propriétaires de chez nous!
EN SAVOIR PLUS
Le Projet forestier Pivot est une initiative de Forêt Hereford, de l’Université Laval et d’ECOTIERRA, une entreprise sociale qui développe et opère le projet. ECOTIERRA est basée à Sherbrooke et existe maintenant depuis 10 ans.
Contactez l’auteur par courriel : d.senay@ecotierra.co
La version originale de cet article est parue dans le Progrès Forestier de l'été 2021. Ce magazine d'information sur le milieu forestier est publié par l'Association forestière du sud du Québec. Pour plus d'information: https://afsq.org/magazine-progres-forestier/.